à l'origine, je monte à Paris pour bosser en septembre 1984. J'arrive de Fumel (47) où je m'occupe d'un groupe de Rock, d'organisation de concerts avec d'autres et où j'écris des "Chroniques Rock" dans un canard local qui tire déjà à plus de 5000 ex.
Je suis en contact avec le gars Rico depuis déjà quelques mois car il m'a demandé d'écrire un article sur la douzaine de groupes du coin pour son zine, LHDPSI qui ne paraîtra plus. Pour ce que j'en ai compris, la maquettiste était sa copine à l'époque mais les aléas de la vie les séparèrent et le zine ne s'en remit jamais vraiment. Soyons clairs, je suis persuadé que LHDPSI ne s'est pas arrêté pour 36 autres raisons (ou alors il y a des menteurs ou des oublieux dans la place) car la copine de Rico (d'une gentillesse extrême et d'une grande sensibilité) assurait la plus grande partie du boulot et se dévouait énormément sur le truc. Il faut savoir que le coût du zine était finalement minime et que nous aurions pu le payer sur le fric du Gougnaf ou sur nos deniers sans qu'il s'agisse d'une dépense insupportable. Mais voilà, faute de combattants actifs, personne n'était réellement volontaire pour assurer le boulot. Rico ne voulait plus de la photocopie mais de l'offset et ça, personne ne savait-pouvait faire dans le Gougnaf.
Pour en revenir à septembre 84, on se rencontre très vite (style 15 jours après mon installation à Paris), on discute pas mal et il me propose de venir à une des réunions du Gougnaf MVT à Juvisy. Aussitôt dit et aussitôt fait, quelques jours plus tard je suis présenté au reste de la troupe, le fameux noyau historique. Au départ, tout se passe super bien. On mange les uns chez les autres. Surtout chez Rico ou chez moi d'ailleurs car les autres vivent pour la plupart dans des mini apparts ou chez leurs parents. Bref, excellente ambiance, musique à fond, déconne raisonnable et la révolution est en marche ! Néanmoins, l'activité du gougnaf est très limitée. Suivre les Thugs et les Hot Pants ou les Parabellums sur quelques concerts, essayer de fédérer quelques zines et assos autour de nous, négocier avec les groupes pour la compil et remplir quelques dossiers sacem. Récupérer les maquettes vynils des 45 ou de la compil à paraître. Pour le reste, on délire et on discute beaucoup assurément. Rétrospectivement, tout le monde a vu ce label mythique beaucoup plus organisé et gros qu'il n'était vraiment. C'était un grand bordel vaguement organisé par Rico. Au départ, j'apporte un plus certain car je suis d'une génération un peu plus âgée que la moyenne de l'asso, j'ai un vrai boulot, une indépendance financière ainsi que l'expérience du milieu indé. Tout en étant au Gougnaf, je continue à écrire pour le canard de mon « pays » et je noue des contacts avec une bonne partie des labels et des groupes indés (au sens large) du moment. Je continue à faire partie de l'asso à Fumel et je redescend tous les 15 jours chez moi pour participer à l'organisation des concerts locaux. On tourne entre 500 et 800 personnes de moyenne par soirées (parfois 1500 pour une ville de 3000 habitants !) et on accueille quasiment tous les groupes phares de l'époque. Même la mythique émission « Les Enfants du Rock » était venue à Fumel parler de cette ville étrange où il y a presque plus de groupes que d'habitants. La place est un passage obligé sur la carte des concerts français et on voit défiler les Cartes de Séjour, Parfum de Femmes, Standards, Dogs, Little Bob, OTH, Oberkampf, LSD, etc plus tous les groupes locaux (Ablettes, Dreï O'Clock et les autres). Ca bouillonne, ça vit, ça s'éclate, très loin de Paris et des contingences du milieu. Au finish, tous les groupes Gougnaf première époque (jusqu'à la compil) passeront à Fumel et toucheront entre 1500 et 2500 balles pour y jouer (quand on en proposait 500 ou 1000 maxi à Toulouse, Bordeaux, Paris ou à Rennes). Bref, passer à Fumel, c'était l'assurance d'avoir un cachet correct, du monde au concert, un bon hôtel et deux repas plus le petit déj dans un vrai restau. Soyons clairs, même aujourd'hui, ça fait envie !Ce qui intéresse Rico, je le suppose à ce moment, c'est que je peux aussi intervenir sur certains aspects financiers de l'asso et apporter une couverture "honorable" à l'affaire en récupérant certaines affaires vaseuses (relationnelles ou matérielles). C'est pourquoi je travaillerais sur le dossier de presse des Hot Pants pour la sortie du 45 trs, par exemple. En outre, j'étais sympathisant à la LCR (avant de m'en tailler pour divergences profondes sur l'efficacité du truc) et, finalement, je partageais une culture assez similaire à celle du gars Rico. Oui, j'avais aussi lu Lautréamont comme lui !
A l'époque, moi, je suis fan du premier 45 des Parabellum et des Thugs et j'arrive avant le projet du 45 des Hot Pants et de la compil des Héros sur laquelle je finance le titre de Parabellum (pour partie de ma poche et pour partie en trouvant deux concerts en Province qui rapportent un peu de thune). Je fais aussi la page du groupe sur le zine inclus avec le LP -avec papier, colle et ciseaux. Mais déjà mes relations avec le gars Rico sont sur la pente descendante au sein du Gougnaf. En fait, lui est convaincu que je veux lui piquer sa place (j'en rigole encore), faire signer les Parabellums ailleurs et devenir millionnaire grâce à eux ! Et moi je commence à croire que c'est la possibilité d'utiliser ma couverture financière qui l'intéresse vraiment. à ce stade, les choses s'éclairent car tout le monde comprend que je ne vais pas payer (loin de là) pour la gloire. En outre, je suis moins sensible à son charisme car un peu vacciné par mes expériences associatives, politiques et syndicales (via mon taf), ma petite vie de manager de groupe de province (et de Parabellum durant 6 mois) et je suis capable de lui dire merde, en privé comme en public. En plus, les incessantes histoires de thunes, l'impossibilité de voir les comptes de l'asso (existèrent-ils un jour ?) et les sautes d'humeur de Rico (faut pas parler à un tel, méfions-nous de machin qui veut me casser la gueule et truc est un malade), gars charmant et brillant au demeurant, me laissent perplexe (et me fatiguent beaucoup) ...
Juste avant la parution du 45 trs des Rats, je suis en rupture avec Rico et avec l'ambiance générale de l'Asso qui tournait à la secte adoratrice du chef. Plus il partait dans ses délires, plus tous les autres trouvaient ça normal. Une secte ? Presque. Le monde était contre Rico et il fallait bien le comprendre. Si l'on était pas d'accord, c'est qu'on était contre lui ... étrange et surréaliste de la part de gars plutôt intelligents. Visiblement, ils étaient fascinés par son charisme ... Pas moi.
De toute façon, musicalement, mes goûts étaient plutôt pour que l'on fasse un effort sur les Thugs, Parabellum et les Hot Pants plutôt que de laisser partir tout ce petit monde ailleurs. Ce qui est finalement arrivé très vite avec la bénédiction du Gougnaf (Les Thugs), contraint par les événements (Hot Pants) ou plus tard (Parabellum quand ils en ont eu marre de ne pas voir logiquement les thunes tomber).
Après, avec la parution du 45 trs des Rats, très honnêtement, je ne suis plus au Gougnaf et ce que j'en sais vient de ce que m'en raconte Rico que j'héberge régulièrement à Paris chez moi et de ce que m'en dise les autres quand ils passent me voir (à condition que je ne le dise pas aux autres ...). Oui, je sais, c'est assez délirant. Le Gougnaf, c'était aussi ça. On pouvait ne plus en être, se sentir furieux de la façon dont ça s'était passé et en même temps continuer à rendre service car on croyait encore au truc.
Pour moi, Gougnaf se fut surtout Rico et des petites mains amies qui se dévouèrent au truc. Et personne d'autre, d'influent en tout cas.
Ensuite, Christophe s'occupait des Thugs et naviguait entre Angers et la banlieue et les autres étaient restés sur Juvisy. Moi je m'étais barré au moment où je devais en être exclu (un fond de Léninisme organisationnel typique de la maison !) et le "groupe Gougnaf" n'existait plus vraiment pour moi. Les suites des aventures provinciales de l'entreprise me sont totalement inconnues même si, visiblement, tout cela ne fut pas très triste.
Nulle rancoeur de ma part sur cette aventure, ce fut une période où j'ai beaucoup rigolé (dans tous les sens du terme).
Si c'était à refaire, je referais tout pareil sauf que j'essaierais vraiment de prendre un emprunt pour produire très vite le premier LP de Parabellum et des Hot Pants.
En gros, à l'époque, c'était dans les 10 000 balles pour un 33 trs et plus que jouable. L'inconvénient du principe collectif de l'asso (qui ne dégage pas de thunes -pour diverses raisons sur lesquelles il serait très compliqué de revenir) c'est que personne ne veut y prendre de risques à titre individuel...
Finalement, ma rupture avec le milieu a été très franche et brutale. Les Parabellum m'avaient viré de mon poste de manager (pas à l'unanimité des membres !), j'étais démissionnaire-viré du Gougnaf, je n'avais plus envie d'écrire dans le canard de province et j'y rendais mon tablier malgré la tonne de SP que cela me permettait de recevoir, me taper les 1200 bornes pour faire Paris-Fumel tous les 15 jours me tuaient et de pertes de frics en prises de têtes, j'étais dégoûté des aléas du milieu «Rock Indé» de l'époque. Finalement, aller acheter des skeuds et voir des concerts suffisait à ma passion. J'avais tiré un trait définitif sur l'aventure musicale. Très peu de gens croisés là-dedans me manquent réellement.
Mes seuls regrets furent humains. Je regrette de ne pas avoir pu nouer des relations avec le Géant Vert, que la carrière des Hot Pants n'est vraiment décollée que plus tard et que les Parabellum ne soient pas devenus le plus grand groupe de Rock français qui ait jamais existé (en terme de succès populaire). Musicalement, Schultz est le guitariste qui m'a le plus impressionné, Camboui était un grand batteur, Roland un excellent bassiste et Géant Vert ce que l'on a fait de mieux en tant que parolier Rock en Français.
Quels que soient les propos que l'on me rapportera des uns ou des autres, je ne changerai pas un mot à cette opinion et au plaisir d'avoir fait parti de cette histoire durant un petit moment. Certains moments sont gravés à jamais dans ma mémoire. Une soirée Fuméloise avec les Dogs et Zermati, un après concert avec Willie loco Alexander avec qui je corresponds de temps à autre par mail, une bataille de polochons d'anthologie avec les OTH, la gentillesse et la classe de leur manager Etienne, la fidélité et la clarté des mecs des Thugs et des Hot Pants ... Manu Chao était déjà un gars bien à l'époque et je ne dirais jamais du mal de lui.
Aujourd'hui, je participe au site http://www.yozone.fr, il est consacré à ma passion de toujours (la SF) et il n'est pas dit qu'un jour on n'y parle pas de rock vu que la plus grande partie des collaborateurs ont des parcours plus ou moins similaires au mien. Résultat : il n'y a pas 1 centime dans l'affaire. Ni thunes à gagner, ni pub, ni rien, sauf le plaisir de faire un truc qui nous branche ensemble. Bilan ? on a 60000 internautes par mois, on bosse avec tout le monde, on est fâché avec personne et on s'éclate de A à Z.
Comme quoi, on apprend aussi de son passé !
PS : pourquoi les choix du Gougnaf furent excellents ? Ce grand secret a une explication qui ne s'appelle pas plus Rico qu'un autre. On votait tous après écoute des groupes et des cassettes et on ne sortait que ceux qui obtenaient une large majorité des voix. Autre chose, on avait tous des goûts plutôt très rock mais complètement différents sur le fond ! Sur ces sujets, je crois que l'on se respectait tous totalement. Pas plus compliqué !