Extrait d'interview de Rico dans On A Faim #11 (Octobre 88)
J'ai longtemps habité en banlieue (a Juvisy) où j'ai fait une émission de radio
qui s'appelait "les petits machiavels pour un grand destroy". C'était en 83 à
une époque où il y avait plein de radios qui passaient de la bonne musique.
Sur cette radio, il y avait six émissions qui décidèrent de faire un fanzine
ensemble. Un fanzine qui relie un peu les émissions de radio. Mais avec le temps
on n'a pas eu la dérogation et on n'a pas voulu vraiment se battre pour mobiliser
les gens; alors je me suis retrouvé tout seul à faire le zine qui s'appelait
"Banlieue des Macchiavels" et puis j'ai rencontré 13ème Section et des gens
comme Morbak qui s'occupait de Kolerat. Au début, on avait l'ambition de faire
des cassettes et des concerts en plus du zine, mais on n'y croyait pas vraiment.
Petit à petit, ca s'est organisé, on a été jusqu'à 22 dans Gougnaf, et entre
novembre 83 et mai 84 (qui est la vraie naissance de Gougnaf), on a organisé
des concerts (Marc Minelli, les Gnômes, Ultraviolet, 13ème Section). Comme
on avait un plan avec un studio, on a fait des cassettes. La première c'était
13ème Section, ensuite il y a eu Charnier et Los Olivados. C'était des cassettes
tirées à 100 exemplaires (en fait pour Los Olivados, on a triché, puisqu'elle
a été tirée à 2 exemplaires; il y a donc 2 personnes au monde à avoir l'intégrale
de Gougnaf).
Ensuite, ça a été l'extension. Après "Banlieue des Macchiavels", qui a eu trois
numéros, on a sorti "Les Héros du Peuple sont Immortels" qui a commencé
directement au numéro 4. Ça circulait beaucoup dans Gougnaf, autour du noyau
de base. On a rencontré Les Thugs, dont on avait organisé un concert à Juvisy,
et là, ça a tout de suite flashé, on a voulu faire un 45T des Thugs. Là dessus,
Ultraviolet, qui était un excellent groupe de scène, nous a proposé de faire un
disque avec eux. On a organisé -plan foireux- une boom pour financer le maxi
d'Ultraviolet, mais ça a été une catastrophe. Comme on avait promis au groupe
de sortir le maxi, on était obligé de le sortir, alors on a cassé nos tirelires
et on a sorti le disque. Ensuite on a tout de suite flashé sur Parabellum, et
on a voulu sortir un disque d'eux également. C'était du délire parce qu'on
avait pas de thune. A 20, en réunissant nos maigres économies, on avait deux
briques (anciennes of course) pour te dire qu'on avait pas lourd.
Et petit à petit, les disques sont quand même sortis. On s'est organisés
un peu mieux.
En octobre 84, on sortait le maxi d'Ultraviolet, en janvier 85, le 45T des Thugs
et en février celui des Parabellum. Théoriquement, pour les Thugs cela devait
être un EP 4 titres, mais comme c'était trop long, il a été réduit à un single
(2 titres). Comme on avait tiré les 1000 pochettes, il a fallu tout refaire,
vu nos moyens financiers de l'époque, c'était pas génial.
Six mois ont passé avant que l'on sorte le 45T des Hot Pants. A l'époque c'était
les musiques qui nous branchaient, mais on n'était pas vraiment nombreux à
être branchés par ça. C'est vrai que pour les gens qui aiment le rythm'n blues.
les Hot Pants restent les maîtres, peut-être avec les Roadrunners, de ce qui
se fait en France. Parabellum c'est devenu ce que l'on sait et les Thugs, à
mon avis, ça constitue un groupe majeur dans le genre, a l'échelle internationale.
Ensuite, on s'est branché sur les Rats, pareil, pour eux ça a pris du temps.
On a décidé de sortir les Rats en mars 85, et ils ont enregistré en juillet 85
et le disque est sorti en mars 86. On a eu de gros-gros problèmes.
Après, le gros truc qu'on a fait, c'est la compilation "Les Héros du Peuple
sont Immortels". Pour la petite histoire, il s'en est fallu d'un rien pour que
les Bérus figurent dessus ... Bon sur cette compil il y a, hélas, les Porte
Mentaux, il y a les Rats, Parabellum, Babylon Fighters, les Thugs, OTH, tous
les groupes qui ont marché après. On ne l'a pas fait exprès, il n'y a pas de
calcul de marketing. Par contre cette compil n'a pas marché autant qu'on
l'espérait, par rapport aux groupes qui sont dessus.
OAF : Pourtant c'est cette compil qui vous a vraiment fait connaitre ...
Rico : Surtout parce que c'était un 33T et une compilation. Cette pochette a eu
plusieurs handicaps : 1) une pochette horrible (OAF : ah bon !) 2) notre
distributeur a splitté deux mois apres la sortie du disque ... Au début, on se
distribuait par nos propres moyens et puis on est passé par une boite de
distribution EMDIS, qui était soit disant indépendante, qui distribuait The
Brigades, les disques de New Wave, Kronchtadt ... et qui on l'a appris par la
suite, comptait dans ses rangs des membres du RPR et du FN. EMDIS a coulé,
avec tous les problemes de fric que ça a pu entrainer et on s'est tourné vers
Madrigal pour la distribution. Et là on a obtenu quelque chose qui pour nous
semblait dingue et que Bondage avait depuis longtemps avec New Rose : ce qu'on
appelle le pressage-distribution, c'est à dire que le label amène la bande et
ton distributeur t'avance la distribution. C'est là qu'intervient la première
rupture Gougnaf.
Le manager actuel des Thugs, Euthanasie Juliette et moi, on a décidé de partir
à Angers parce qu'on en avait marre de Paris. Mais les autres n'étaient pas
branchés, alors on s'est retrouvé avec une équipe à Juvisy qui s'occupait des
Héros du Peuple et une équipe à Angers qui s'occupait du label et du Wardene,
le zine gratuit qu'on venait de lancer. En fait c'était une erreur de faire
tant de choses en même temps : tenir un catalogue de distribution, deux
fanzines et un label, avec les capacités organisationnelles et les moyens
financiers qu'on avait. Soit tu fais tout ça en "pro" avec des salariés;
Mais c'est pas possible : ça a une logique de rentabilité qui est folle par
rapport à ce que c'est initialement. Ça veut dire qu'il faut trouver 15
personnes motivées à mort et qui ne vivent que pour ça ! Et c'est difficile
d'en trouver 15 au même endroit, t'en as toujours un ou deux mais pas 15.
L'histoire le montre partout, aussi bien au niveau des fanzines, des radios,
des labels ... Donc il y a eu une sorte de dichotomie entre Juvisy et Angers,
qui a été mal vecue, surtout pour gérer les 300 kms de séparation, bien qu'on
allait une fois par semaine à Paris.
A cette époque est sorti l'album de Parabellum en coproduction avec Bondage.
Ça a été très important (c'est d'ailleurs la meilleure vente des albums Gougnaf
à ce jour) et c'est ça qui a vraiment lancé le label - les autres groupes Gougnaf
en ont profité d'ailleurs - ... Ensuite est sorti le 45T des Boy Scouts ...
Depuis le début de notre histoire on a sorti des disques par a-coup, et c'est
une erreur qu'on essaie de pallier en ce moment. C'est pour ça qu'en 87 on a
géré Gougnaf comme un label sérieux, en sortant plein de disques en même temps.
Au printemps 87, on a sorti l'album des Shériff, l'album des Rats, le maxi
de Parabellum, le 45T des Noodles, celui des Shériff et le mini LP de Red
London. Là vraiment, on a existé en tant que label.
Parce que c'est vraiment important d'avoir les détails de l'histoire, voici
quelques précisions : après toutes ces sorties on s'est aperçu que Madrigal
nous baisait sur la fabrication en nous faisant payer plus cher les disques,
plus cher que si on s'était débrouillé tout seul pour presser les disques.
En plus Madrigal pour la distribution, c'était pas ce qui se faisait de mieux.
Alors ça a été l'émeute et on a quitté Madrigal. Bondage nous poussait depuis
longtemps à aller chez New Rose. On a été longtemps hostile par rapport à
New Rose mais on y est allé quand même. En plus on s'est dit qu'ayant un
distributeur plus rigoureux, il nous faudrait être plus rigoureux. Depuis
Madrigal a fait faillite. Beaucoup de gens qui n'ont pas subi les erreurs de
Madrigal ont raconté n'importe quoi. Les gérants de Madrigal ne se sont pas
barrés avec la thune (dans Madrigal il y avait des gens honnêtes ...). En fait
c'est la logique de l'homme d'affaire qui a le couteau sous la gorge et qui
fait n'importe quoi. Ils ont fait une faillite, mais en entrainant du monde
derrière eux.
Maintenant avec New Rose, on bénéficie des tarifs de New Rose et entre
le prix qu'on payait chez Madrigal et celui qu'on paye chez New Rose il y
a 17% d'écart (on a perdu 7 briques chez Madrigal). Après il y a eu une
autre crise dans Gougnaf, des problèmes humains, qui ne regardent que les
gens de Gougnaf, qui ont entrainé une hecatombe. Il y a ceux de Juvisy qui
ont craqué. Ce qui fait que je me suis retrouvé tout seul.
OAF : C'est pour ça que tu es parti à Lyon ?
Rico : non à un moment donné j'ai envisagé de revenir à Paris, parce que
pratiquement c'est plus facile. Mais je ne pouvais pas m'habituer à Paris.
J'ai eu une longue période de doute et là en 88, depuis février on a repris
des activites normales. Maintenant il y a d'autres gens qui bossent avec moi,
ce sont les gens d'Attaque Sonore. On va agrandir le magasin, comme ça on peut
bosser ensemble et chacun de son côté. En mai on a sorti plein de disques.
Le but du jeu étant de développer toujours une même ligne, même si pour ma
part, j'ai 2-3 idées comme une compil sur la Révolution Française, où on
parlerait des vrais révolutionnaires de la Révolution, pas les Robespierre
et autres. J'aimerais un album concept dont les textes seraient écrits par
Géant Vert. Je voudrais aussi sortir un disque sur les Surréalistes, sans
tomber dans le plan arty chiant, avec des gens comme Dazibao ... Dada et
sur le réalisme c'est ce qui correspond le plus au punk-rock mais je
réfléchis à comment ça pourrait se faire sans être trop chiant.
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