Interview avec le Géant Vert (12/97) :
GVI est un personnage à part dans la scène francaise,
et s'exprime ici en 97, à l'occasion du retour des Parabellum
sur le devant de la scène, sur l'actualité du moment, ainsi
que sur certains épisodes de l'underground français qui ont
fait date.
Quelles sont tes activités à l'heure actuelle ?
Pour l'essentiel, principalement PARABELLUM. Je reprends l'histoire là où je
l'avais plantée en 1987. Entre temps, j'ai eu la chance de me libérer du monde
du travail, ce qui est, tout de même, un sacré avantage quand on est né avec un
baobab au creux de la main ! A l'occasion je fais aussi quelques scénarios et
traductions pour Gilbert SHELTON et sa nouvelle bédé « NOT QUITE DEAD »
ou officient aussi les crayons du dessinateur PIC.
Ecris tu toujours des bouquins ?
Depuis CASSE-BONBONS, j'ai toujours plus ou moins écrit. Simplement,
il m'a fallu quelques années pour digérer le choc de la découverte du monde
du livre. J'ai rarement vu une telle concentration de jeans-foutre au
centimètre-carré ! Du sol au plafond et de l'attaché de presse au directeur
de collection, il n'y en a pas un seul pour relever l'autre? Etre publié jeune
n'est pas obligatoirement un avantage. Il y a trop de contraintes imposées par
les éditeurs. Jouer à l'écrivain confirmé m'a amusé une semaine, peut-être
deux. Après, c'était pathétique. Tous ces gens qui s'extasiaient sur un éventuel
tas de fric potentiel et qui ne lisaient même pas ce qu'ils publiaient ! J'ai donc
pris mes cliques et mes claques et suis allé voir ailleurs si le Géant-Vert n'y
était pas. De toute façon, à vingt-six ans, j'avais beaucoup mieux à faire que
d'entamer une pseudo carrière d'écrivain-épouvantail à bourgeois qu'on
montre une fois tous les deux mois dans les émissions littéraires du soir.
L'expérience de l'âge aidant, je sais maintenant jusqu'o&ù je suis prêt à aller
avec un éditeur : il publie mes bouquins et moi , je fais ce que je veux ! J'aime
l'irréalisable et ça doit être pour ça que deux de mes bouquins vont sortir
prochainement et en toute modestie. En septembre 98, une biographie sur les
Sex Pistols et un roman ROUGE FLUO ET SANG également à la rentrée.
Tu t'es déja investi dans un groupe (Karbala), chantes-tu encore ?
Karbalâ 413 était plus un caprice ou un passe temps qu'un groupe à part entière.
Je l'ai créé en réaction à une époque où je me sentais orphelin de Parabellum.
Ca m'a permis d'en faire qu'à ma tête pendant quatre ans. Composer paroles et
musiques, jouer avec pas n'importe qui, claquer un maximum de fric des
producteurs dans des studios etc Le tout pour un résultat assez lamentable dans
l'ensemble. Enfin, ça m'a tout de même rappelé au bout d'un moment que la
scène est un exercice difficile réservé à ceux qui aiment ça. J'ai toujours
assimilé la montée sur scène au difficile chemin de la Crucifixion. Ecrire est
une chose, exposer ses sentiments à la curiosité ambiante du public est un acte
qui me conduit à la violence physique pure et simple. Je suis donc revenu à une
formule plus simple à supporter mentalement.
Tu arrives à faire sonner du français "rock" (et c'est dur !),
comment composes tu généralement ?
Une bibliothèque de quelques milliers de bouquins aide un tant soit peu pour
composer ne serait-ce que du punk-rock ! Le français est une langue
extraordinaire quand il s'agit de la faire sonner sur un rythme et trois accords.
A la différence de l'anglais, qui est une langue plus concise, le français dans
sa complexité offre tout un tas de solutions et de bonnes surprises à
l'écrivaillon que je suis quand il s'installe devant sa page blanche. La plupart
de mes coreligionnaires ès stylo à bille se limitent plus ou moins
volontairement à leur époque qui est, malheureusement, complètement creuse.
J'essaye pour ma part de mélanger les styles et les époques pour les transformer
en une bouillie prédigérée destinée à des gens qui, pour la plupart, ne lisent
pas, n'écoutent pas et ne veulent rien savoir si, par malheur, le sujet sort de
leur petit monde bien égoïste, pantouflard, carriériste et éloigné de tout, qui
les concerne et leur va si bien. De toute façon, les fans de Parabellum et
autres se foutent de mes paroles. Quand ils retiennent le titre de la chanson,
c'est déjà une grande victoire de la Connaissance sur les barbares !
Quels sont tes thèmes de predilection ?
Ma famille, mon entourage, ma vie, mon oeuvre, mes joies, mes peines,
mes chats, mes puces, éventuellement les autres ?
Pourquoi une chanson comme Amsterdam ? plutôt contre Brel en tant
qu'"institution de la chanson" ou contre Amsterdam pour montrer la
réalité de la ville ?
Brel haïssait Amsterdam. Le couplet le concernant serait ma façon de penser si
j'étais en train d'overdoser pendant l'écoute de cette chanson. Je déteste
l'imagerie d'Epinal véhiculée autour de cette prétendue cité de la joie conique.
La plupart des gens pensent que Brel magnifie Amsterdam et qu'il y fait bon
vivre. C'est de la turlutte. Il décrit une cité dont tous les personnages sont
déjà à l'agonie. Quinze minutes m'ont suffit au grand maximum pour faire,
non pas un nouveau texte, mais plutôt une mise à jour d'Amsterdam. Il n'y a
rien d'exceptionnel dans ma version car je n'amène rien de nouveau. Hormis
le lance-flammes, Ilot Amsterdam n'apporte aucune solution au problème.
Cette chanson est tout au plus un vague dépliant publicitaire sur la réalité
du mythe. Une réclame que l'on ne trouvera jamais dans aucun syndicat
d'initiative? Certaines erreurs humaines de mon entourage prétendent que
la dope rend particulièrement créative. Que c'est en se défonçant que l'on
accède au génie ! ! ! C'est faux. On vient sur terre avec un certain potentiel.
La dope n'y change rien, elle accélère juste un peu le tempo avant l'arrêt
cardiaque.
Comment as-tu monté Cayenne ?
C'est une vieille chanson de mon répertoire personnel. Un copain me l'avait
apprise à une époque où j'avais eu quelques menus problèmes avec la
maréchaussée. Quel que soit la portée du crime commis, le délinquant est
principalement coupable de s'être fait gauler. A partir de là, il est condamnable !
Vu sous cet angle, il ne me restait plus qu'à la faire jouer par Parabellum
histoire de soulager ma douleur d'avoir été suffisamment con de me faire
chopper !?
Tu n'as jamais proposé tes services aux Sheriffs en tant que parolier ?
Non. Cette éventualité était dans l'air du côté de Gougnaf mais j'avais décliné.
Les styles étaient trop différents, les mentalités aussi. Pourquoi transformer les
Sheriff en une sorte de Parabellum-bis alors qu'ils étaient déjà un groupe à
part entière ? ! ? !
Peux-tu nous résumer l'histoire de la fameuse pochette des Rats ?
A l'époque, les rapports avec Parabellum étaient pourris. En bons clones, les
Rats se sont mis à jouer les difficiles par rapport à mon taf. Leur chanson sur
Le Pen était si nulle que je leur ai refait le texte à l'exception du couplet.
Sur la lancée, j'ai aussi pondu un projet de pochette pour le maxi en appelant
l'ensemble du disque « l'oeil qu'il te manque ». Malheureusement, l'égo des
Rats avait été scandaleusement flétri par ma précédente collaboration avec eux.
Ils avaient encore en travers de la gorge la chronique de Métal Hurlant qui avait
rebaptisé leur premier LP « 3 chansons du Géant-Vert ! » C'était très réducteur
vis-à-vis de leur boulot et si amusant que, six mois après, j'en rigolais encore.
Pas eux ! Bref, quand je leur ai refilé le projet, le groupe m'a fait comprendre
que je prenais trop de place et qu'ils n'étaient pas intéressés par mon idée de
pochette. Ca ne m'a pas empêché de dormir outre mesure. Seulement, quand le
disque est sorti, c'était mon ébauche qui avait été utilisé ! Le téléphone a
pas été long à se faire entendre. Tout un tas de crétins se sont fait un plaisir
de me faire remarquer qu'un bon parolier ne faisait pas forcément un bon
maquettiste ! ! Bon Dieu ! Je me suis mis en rogne et suis allé voir Gougnaf.
Là, j'ai gueulé, entre autre, sur le fait que les paroles ne figuraient pas
en entier sur la pochette. La réponse a été terrible. D'après les gens présents,
il était évident que je cherchais à régler mes comptes avec le front national au
travers des Rats qui n'y étaient pour rien ! ! ! On nageait dans le Jarry à ne
plus savoir où crawler ! Cette chanson, je ne l'ai pas inventée, j'ai juste modifié
un truc qui s'appelait « j'encule Jean-Marie la chèvre » ou quelque chose dans
ces goûts là ! Ne donnant pas trop dans la chanson militante de base, ma
première intention était d'atténuer un tant soit peu le côté lourdingue des Rats
qui commençait à poindre. C'est peut-être à cause de ce genre d'expérience
malencontreuse que j'hésite à donner dans le social. Après cet épisode si
caractéristique de ce que j'appelle l'aberration alternative, j'ai continué à
écrire quelques textes par ci, par là pour les Rats. La seule différence, je
n'écoutais pas le résultat sur disque.
Quels sont les problèmes que tu as eu avec Gougnaf ?
L'idée de Gougnaf Mouvement était intéressante au départ. Simplement,
il y avait les bonhommes plus préoccupés par leur promotion personnelle que
de celles des groupes qui faisaient exister le label. Je me souviens très
bien que les gens disaient que Parabellum était un groupe « Gougnaf » et non
pas que Gougnaf était le label sur lequel était Parabellum. Aujourd'hui encore,
j'ai droit au refrain bien faux comme quoi Riko a créé Parabellum. Même,
d'après un journaliste de RAGE (et ancien escroc en chef du label Réseaux
Alternatifs ), j'aurais volé Parabellum à Riko Gougnaf en rééditant mes propres
chansons l'année dernière ! Je me souviens très bien qu'à l'époque, Parabellum,
à l'instar des autres groupes, apportait ses disques « clef en main ». Nous
faisions même les pochettes. Gougnaf n'avait plus qu'à presser le disque et à
le vendre. La griffe Gougnaf, c'est une vaste jeanfoutrerie ! Tout le travail
sonore et esthétique était fait par les groupes. En clair, la méthode Riko,
c'est faire trimer les autres et tout ramener à soit. Et quand il tombe sur
un os, en l'occurrence moi, il décroche le téléphone des autres pour répandre
son fiel histoire de tordre le coup à l'empêcheur d'escroquer en rond. Le pire,
c'est que ça marche ! Avec ou sans Gougnaf, Parabellum aurait existé de toute
façon. Simplement, en prenant le premier label qui se proposait, j'ai peut-être
contribué par mon choix à empêcher Parabellum de faire ses premiers disques
dans de bonnes conditions. A part ça, en bon naïf que j'étais, je dois tout de
même reconnaître que les gens de Gougnaf ont été les premiers à me faire
découvrir la censure. Pour cela, je les en remercie. Même à TELERAMA,
j'avais moins de mal à faire passer mes textes !
Que penses-tu de l'aventure Los Carayos ?
Los Carayos est une superbe aventure pour Manu et Gros François, moins pour
Schultz et moi. A la fin du conte de fée, Schultz s'est retrouvé avec un groupe
sans parolier et moi sans groupe ... Quand il a été question de faire du pognon,
les deux premiers sont passés au tiroir-caisse sans même une pensée pour le
guitariste qui avait sacrifié son groupe à Los Carayos. Il y a eu énormément de
problèmes autour de Parabellum, et Los Carayos en était un. Cela amusait
beaucoup les gens de savoir que Parabellum devait tenir compte des concerts de
Los Carayos avant de dire oui pour aller jouer quelque part. C'est mon avis sur
la question. Celui de Schultz est plus nuancé car il a pris un plaisir évident
à jouer dans Los Carayos. De plus, Schultz se retrouvait à jouer avec des gens
très organisés alors que dans Parabellum, c'était l'inorganisation à outrance
qui primait. C'est là où se situait toute la différence entre ces gens et nous.
Ils savaient ce qu'ils faisaient et pas nous.
C'est assez rare de voir un groupe se reformer. Qu'est-ce qui a motivé
le retour des Parabellum ?
En 1996, rien n'allait plus. Tout le monde marnait ou avait abandonné la
musique. Nous nous retrouvions face à un passé encombrant. Depuis 1991, je
me retrouvais cerné par un entourage qui démolissait allégrement tous mes
nouveaux projets et ramenait tout à Parabellum. Pourtant, quand le groupe s'est
séparé, personne de nous n'avait l'impression de mettre fin à l'histoire d'un des plus
grands groupes de rock français ! Alors, à force d'entendre cette connerie, nous
avons décidé de nous reformer histoire de savoir si c'est vrai ! De toute façon,
nous sommes tous conscients de n'avoir jamais enregistré un titre de
Parabellum de manière satisfaisante. Alors, plaise à cette aventure de nous
permettre de pondre un album vraiment en phase avec ce que nous sommes
capables de faire !
Comment se sont réalisées les réeditions en CD des Para ?
Qui en est à l'origine ?
La meilleur façon pour un groupe de ne pas se faire entubé par un label est
d'être son propre label. C'est ce qui s'est passé avec les rééditions de
Parabellum. Je suis allé voir Mantra qui avait racheté les droits des deux
albums Fnac-Music et leur ai proposé un deal en tant que producteur. Mantra
a accepté et m'a donné les moyens de réaliser ce que je voulais. Et c'est
comme ça que les anciens Parabellum se sont revus après tant d'années. Le
reste est une autre histoire ...
Un live est un exercice délicat, les pains sont-ils soigneusement gardés ?
1991-1997. Six ans sans jouer ensemble et l'annonce d'un concert qui va sortir
en disque ! Nous n'avons réalisé l'ampleur du challenge qu'au moment de
mixer les bandes. C'est-à-dire un mois après le concert. Quand nous avons
écouté les masters, nous étions tous très verts dans l'ensemble. L'ingénieur
du son avait beau dire qu'il n'y avait pour ainsi dire que très peu de pains,
nous n'entendions qu'eux. C'est très dur de mixer un album live car les pistes
du public sont volontairement mises à l'écart. Pendant quinze jours, nous
n'arrivions pas à reconnaître l'ambiance qu'avait été ce concert exceptionnel
vis à vis du public. C'est au montage final que nous nous sommes retrouvés.
Quand les pistes du public se sont faîtes entendre. Là, nous nous sommes tapés
dans les pognes, c'était vraiment le Parabellum de Marmande. Au niveau pain,
il n'en existe que deux sortes : ceux qui sont exploitables et ceux qui ne
le sont pas. Dans la première catégorie, nous trouvons le faux départ de
SVP 08 38, le tempo fluctuant de certaines chansons, les guitares désaccordées
de fin de concert, etc Dans la deuxième, toutes les chansons jouées à Marmande
qui ne figurent pas sur le disques. Notre grand regret, l'intro désespérément
ratée de Doc Bollocks. De toute façon, un live sans pain, ça n'existe pas ou
bien tout est refait en studio est ça ne signifie plus rien ...
Comment vois-tu l'avenir des structures indépendantes ?
Une structure indépendante qui souhaite survivre doit être consciente qu'elle
ne sera jamais une vraie maison de disque. Les groupes qui travaillent avec
doivent être eux aussi conscients de ça. Un combo qui signe avec Crash Disques
ne doit pas espérer bouffer du caviar au bout de six mois ou alors ils me
téléphonent et je me fais un plaisir de leur donner les accords de Dream On !
Une structure indépendante se doit de ne s'intéresser qu'aux groupes d'illustres
inconnus pour leur permettre de faire leurs premiers disques avec des bouts de
ficelles correctement noués ! Quand je vois les conneries monstrueuses commises
par les Majors depuis qu'elles existes, je ne me fais pas trop de soucis sur une
éventuelle disparition de la concurrence. Avec de telles Majors, les aventuriers
de l'indépendance ont encore de beaux jours devant eux ! La seule question a se
poser est de savoir si le label indépendant en question tient à cultiver sa
différence ou faire comme tout le monde : c'est-à-dire gagner sa vie sans plus
se prendre la tête.
Quels sont les groupes qui te branchent actuellement ?
Le mot de la fin ?
Qui a dit : « Chacun se juge unique, avec raison. Mais on se croit seul unique » ?
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