Nineteen #22 Mars 87
LE GEANT VERT
Les paroliers rock qui
essaient de regarder un peu
plus loin que le bout de leur
rime ne sont pas légion en
France. et ce n'est rien de
l'écrire. Manque d'intelligence ?
Manque d'ambition ? Ou manque d'un réalisme qui les
amènerait à convenir que pour être musicien
et savoir se servir d'une guitare. on
n'en a pas pour autant nécessairement
l'étoffe d'un grand accoucheur de textes ?
Allez savoir. Toujours est-il que la question
est bien réelle et que les quelques oiseaux
rares qui font preuve de talent et de personnalité
ne doivent pas faire oublier la grande
masse des pisse-stéréotypes.
A ce problème, les Parabellum, eux, ont
trouvé une possible solution. Son nom : le
Géant Vert ; il est leur parolier : Plus que
cela du reste, puisqu'il prend aussi en
charge les pochettes du groupe. Une situation
plutôt inhabituelle dans le contexte
actuel mais dont, et les pratiques passées
(revoyez vos classiques) et la présente association,
prouvent qu'elle peut aussi donner
de bons résultats ; elle est même moins
bancale qu'il n'y paraît à première vue pour
peu que les rapports soient basés sur une
réelle cohérence entre les paroles et la
démarche du groupe. Il n'empêche qu'on
peut se demander si le groupe aurait pu
acquérir la notoriété qui est la sienne sans
ce renfort particulier. Bref, j'ai voulu en
savoir plus sur ce personnage qui écrit par
ailleurs régulièrement dans les colonnes de
notre estimable confrère Les Héros Du
Peuple Sont Immortels. Ses réponses valent
leur pesant d'or, ou de venin. Au choix...
Nineteen : Quelle était l'idée à la base de
Parabellum ?
Géant Vert : C'était de faire un groupe qui
sorte du créneau "groupe français" qui est
absolument chiant. Le groupe français en
général, c'est un ramassis de mecs qui n'ont
rien à dire, qui sont là pour l'image, pour
faire du rock pendant un an. Leurs ambitions
s'arrêtent à la sortie d'un 45t. pour ensuite se
marier, avoir des gosses et avoir une vie tout
à fait normale. Et quand leurs mômes seront
en âge de comprendre, ils leurs ressortiront
les preuves comme quoi leurs parents étaient
de dangereux rockers. Tu en as d'autres,
c'est vrai, qui continuent : mais dès qu'ils ont
appris à jouer, ils se prennent pour des musiciens,
ils veulent faire de l'art, signer sur une
major company, toucher le chômage des
musiciens... en faire un boulot. En fait c'est
une grosse pantalonnade, j'ai l'impression
que les groupes prennent les gens pour des
cons. L'idée avec Parabellum, c'était le trouver
des musiciens et de leur proposer un
concept clé en main.
19 : Et ils ont accepté ça ?
G.V. : Au départ, oui. Ils en avaient un peu
leur claque de jouer dans des groupes où il y
avait un leader qui imposait ses vues.
19 : Quelle est ta position au sein du groupe ?
G.V. : Au départ, c'était clair : je n'étais pas
sur scène mais je faisais partie du groupe : je
les conseillais, j'expliquais la démarche.
Pour l'instant ça n'a jamais vraiment marché.
Sur scène ça va, mais autrement ils
fonctionnent trop sur le cliché rock'n'roll
classique : la bière, les filles, le vedettariat...
Tout ça ne m'intéresse pas, ça va à contre-courant
des paroles.
19 : Derrière tout ça, on sent planer l'ombre
de Malcom McLaren...
G.V. : 0n leur a déjà dit que je voulais être
McLaren, le grand manipulateur du rock,
que s'ils suivaient mes conseils, ca se terminerait
mal pour eux et très bien pour moi.
Comme les musiciens sont méfiants, ils voulaient garder les paroles
mais pas le bonhomme. Mais quand on a des paroles comme
ça, il faut les assumer. Je n'ai pas envie de les
bouffer. C'est tous ensemble au pas du tout,
personne n'a à s'imposer. Pour l'instant je
leur propose des textes. Il y en a qui ne sont
jamais passés. Un de leurs critères c'est la
longueur. Quand un texte fait deux pages,
c'est dur de le leur faire aceepter. lls sont très
Ramones. Mais si tu regardes bien, les
refrains ne sont pas toujours les mêmes. 0n
peut adapter. Un texte de huit strophes peut
tenir dans une chanson de deux minutes.
19 : Tu es très critique vis-à-vis du groupe.
Comment alors peux-tu continuer à t'intéresser à eux ?
G.V. : C'est une musique que j'aime bien. Je
ne suis pas musicien, mais je les connais bien
individuellement : ils sont ok, tu peux discuter avec eux.
Mais (dès qu'ils se retrouvent dans l'ambiance d'après concert,
avec tous ces enculés qui tournent autour des groupes à
leur cirer les pompes, les mecs changent aussi
sec. Ils se prennent pour le nombril du monde
alors qu'ils n'en sont même pas le trou du cul.
19 : Tu expliques ça uniquement par l'attitude du public !
G.V. : En partie. Il y a aussi un côté vachement fainéant,
chez eux, très profiteur : ils attendent tout des autres.
Ils montent sur scène et à partir de là tout leur est dû,
et les gens qui aiment le groupe doivent le pousser.
Certains sont ok mais ils peuvent se faire
bouffer. Quand tu es une individualité, tu
dois rentrer dans le rang à coup de rabot
sinon tu te retrouves complètement isolé.
19 : Oh veux-tu en venir finalement ?
G.V. : Je ne cherche pas a imposer ma vision
des choses, je veux l'exprimer. Je ne veux pas
devenir le porte-drapeau d'une génération
plus ou moins anarchiste : ca me gonfle. Les
gens ont leurs idées, j'aime bien discuter...
pas nécessairement les convaincre, mais
qu'ils comprennent ce que je fais. J'adore
cette musique. Je trouve plus drôle de présenter
mes textes ainsi. Je ne me vois pas imprimer
des poèmes ou carrément les lire sur
scène en faisant des effets de manche entre les
passages des groupes. Je pense que les textes
vont bien avec la musique des Parabellum et
que leur musique va bien avec les textes. J'ai
fait plusieurs expériences avec d'autres
groupes mais la musique ne me plaisait pas.
Je suis content qu'on s'entende mieux maintenant.
Mais pour combien de temps ?
19 : Tu écris les paroles des chansons, mais
tu t'occupes aussi des pochettes des
disques. Parle-nous de celle de l'album...
G.V. : Elle a été dessinée par Michel Pirus.
On a travaillé ensemble un après-midi, mais
quand je l'ai laissé, il n'en a fait qu'a sa tête.
Au départ, c'était un terrain vague avec un
corbeau saucissoné sur une fusée, avec une
guitare. Et il y a un gros porc en blouson de
cuir qui est en train de jeter un mégot sur la
mèche pour l'envoyer sur la lune. C'est la
façon dont je vois les choses avec les groupes :
le porc c'est celui qui a réussi, le corbeau
c'est nous, un tout petit truc.
19 : Et celle du 45t. avec l'outrageux
"Rambo est une tante" ?
G.V. : Je ne vais quand même pas te dire que
j'ai des amis homos. Simplement, je fais une
différence : être une tante, c'est une insulte,
être homo non. Rambo ressemble à une poupée
gonflable, mais si tu le traites de chambre
à air, personne ne comprend. De lire "Rambo
est une tante", ca fait pas hurler les beaufs.
19 : C'est pas de la provoc un peu facile, ça ?
Comme les croix gammées. les drapeaux...
il y a des façons plus subtiles de provoquer.
et moins ambigües.
G.V. : Je sais pourquoi je l'ai fait. Tous ces
détails sont destinés aux gens qui vont regarder
les disques au rayon punk pour se donner
le grand frisson, "Regarde, regarde leurs
têtes". Ce qui m'a le plus gêné en fait, c'est
d'avoir censuré la pochette ... A l'origine, on
voyait Hitler sur un nuage avec une couronne
et une fausse dent, et puis Pétain et Khomeini.
Le groupe m'a dit qu'on allait les
traiter de fascistes en voyant ça. Mais pas du
tout. Le texte du morceau est très clair. La
phrase sur le bandeau, c'est un peu pour
rattraper cette auto-censure.
19 : Là aussi, Hitler, c'est le plan un peu
facile. non ?
G.V. : J'en parle parce que c'est dans la
chanson. Il y a aussi les deux autres. Ce n'est
pas de la provoc, mais quand tu vois des mecs
faire des discours sur Hitler, la bête immonde
du XXè siècle... Moi, qu'est-ce que je fais ? Je
lui colle une fausse dent. Et puis, je vais te
dire, je n'ai jamais les bonnes photos. Je
voulais mettre Pinochet, impossible de trouver
une photo de face, alors j'ai mis Pétain,
lui et Hitler avec une fausse dent. Quand tu
vois tous ces groupes, Joy Division, New
Order qui vendent des millions de disques,
qui sont à la mode et dont les pochettes sont
repompées à l'esthétique futuriste, à l'art
fasciste avec des statues d'Arnold Bruckner,
bien colossal, bien beau. l'homme avant tout,
la race blanche ... Tous ces mecs qui utilisent
un art uniquement pour son côté kitsch
embrouillent ceux qui achètent les disques et
lisent les paroles. Ça leur met des idées dans
la tronche. Ils commencent à parler d'européanisation,
des Etats-Unis d'Europe, à dire
que la nouvelle droite n'est pas si mal. Si en
France un groupe s'appelait 0rdre Nouveau,
il ne tiendrait pas dix secondes ; parce qu'il
est anglais, les gens disent amen ... Et après
ça, tu as un malheureux 45t qui sort avec
Hitler et sa fausse dent. Alors qu'Hitler ne
représente même pas une goutte d'eau dans
l'océan. Il faut être réaliste : qui se souviendra
de lui dans quelques années ? Alors se
croire obligé de le sortir avec un bandeau de
censure, quand les gens qui disent ça, ont
tous dans leur discothèque un album de Joy
Division ou de New Order et trouvent
ça normal !
Il égratigne, il dérange, il en perturbera
peut-être même quelques uns, mais, zut,
n'est-ce pas là un des intètêts premiers du
rock ? Après tout, autrememt choquant que
les idées qu'affiche le Géant Vert devrait être
le pièdestal d'irresponsabilité sur lequel on
place trop facilement les musiciens. Et la
question de savoir si les types comme lui ont
une place dans le rock en France revient
peut-être tout simplement à savoir si l'on
considère cette musique comme un hobby
inoffensif, ou comme un support pour des
individus qui ont quelque chose à exprimer.
Antoine MADRIGAL
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