Christophe : Je ne crois pas qu'on soit spécialement pessimistes, on est plutôt réasliste, ce qui revient peut-être au même quand tu fais du rock en France ...
C : Il y a des périodes où on parle beaucoup de certains groupes et du fait que les Bérus ont arrêté on en parle beaucoup moins. Des groupes comme Parabellum ça fait un moment qu'on a parlé d'eux, ils ne font pas de disques, pour les Shériff c'est pareil. Dans un sens ce n'est pas plus mal : au niveau purement musical, il y a plus d'ouverture qu'avant, il y a beaucoup plus de groupes français qui chantent en anglais et pas obligatoirement dans la lignée "rock alternatif en français". Les gens reviennent plus à la musique. Il y a eu une grande période "rock en français", alors il va y avoir un retour.
C : Bien sûr. C'est pour ça que les articles parus dans les grands journaux nationaux du style de Best, disant : "Le rock alternatif est mort" est complètement débile. Le rock alternatif est mort, ça voudrait dire qu'il n'y a plus de rock en France. Le rock est alternatif depuis le début. Le rock en France, reste marginal et s'adresse à des gens qui n'ont pas envie de rester dans le système des majors companies.
C : J'admire beaucoup un groupe comme les Bérus, même s'ils ont déliré à la fin, parce qu'ils ont réussi à garder la tête froide en vendant 50000 disques. Alors qu'il y a des groupes dits "alternatifs" qu'on connaît qui, à leur place auraient pris la grosse tête. De toute façon, c'est un peu comme dans une organisation politique : il y a beaucoup de gens qui y sont parce que leurs copains y sont, c'est un phénomène de mode et ils sont les premiers à tout lacher dès qu'ils ont obtenu un p'tit quelque chose. Ceux qui tiennent un vrai discours radical et qui s'y tiennent sont peu nombreux. Il y en a plein qui retournent leur veste.
E : Au début de notre carrière, on a décidé de tester tous les labels français, on a fait Gougnaf, Closer, New Rose, maintenant on fait Bondage. Ce qui s'est passé, c'est qu'en France on n'a jamais été très satisfait de ce qui s'était passé pour nous sur les différents labels. Des problèmes tous différents les uns des autres suivant les labels. Depuis très longtemps Bondage était un label qui nous intéressait beaucoup. On aimait bien les gens qui étaient à l'intérieur, mais l'image ne nous correspondait pas vraiment : Les Bérus ou Ludwig, c'est une certaine ligne musicale. On n'est pas complètement éloigné ou étranger à ce phénomène, mais on aurait détonné dans le label et on n'avait pas envie de ça.
Puis, il y a eu une opportunité : Bondage a élargi ses goûts musicaux, notamment avec ce qui est sorti sur Stop It Baby (Hard Ons, Shifters ...) ...
C : Si on avait été chez Bondage pendant leur grande époque, quand les Bérus avaient un énorme succès, ça aurait fait opportuniste. Y aller en ce moment c'est vraiment le contraire, vu qu'on est allé chez eux au pire moment.
Par rapport aux autres labels, puisqu'on est dans une grande période de rêglement de comptes entre les groupes et les labels : nous avons toujours de très bonnes relations avec Closer et Gougnaf. Ce sont des gens qu'on aime beaucoup et qu'on voit régulièrement. Si on n'a pas continué c'est pour des histoires pas très importantes. Si un jour on devient célèbre et qu'on vend plein de disques, je souhaite que Gougnaf puisse toujours vendre le 1er 45t, idem pour Closer avec "Radical Hystery" : tout le monde en profiterait.
E : Je vois ça comme une crise de croissance. Le rock indépendant en France a fonctionné au niveau de l'artisanat pendant de longues années, parce que n'e de structures minuscules et que petit à petit ça a vendu des disques et qu'il a fallu passer à la vitesse supérieure. C'est donc une crise de croissance, ça va se résoudre. Ce qui est embêtant c'est que tout le monde se tire dans les pattes, au lieu de se donner des conseils, de former un genre de cartels des labels indépendants ... travailler de manière traditionnelle, mais ensemble pour rester honnête et intègre. Même si au niveau des labels, il n'y a pas eu trop de guerre, ce sont plutôt les groupes qui ont fait n'importe quoi. Dans l'histoire qui s'est passée entre Bérus et Bondage, on n'a pas à prendre part, mais c'est dommage. D'ailleurs il n'y a pas eu que des problèmes chez Bondage. En plus, ça permet à des gens qui n'ont jamais aimé le rock alternatif de se déchaîner, d'affirmer que le rock alternatif est mort alors qu'ils ne l'ont jamais considéré comme vivant. Ca les ramène dans ce qu'ils ont toujours pensé et ça c'est pénible.
C : Ca me fait penser aux groupuscules gauchistes dans les années 70, quand ils disaient : "Il faut savoir où sont ses ennemis". C'est à dire qu'on passe plus de temps à se taper sur la gueule avec des gens qui ont une politique légèrement différente qu'avec les vrais ennemis. Ca entraîne les excès de langage, les exagérations, les procès politiques ...
E : Ce qui s'est passé dans le rock alternatif, ce sont des choses qui se passent souvent dans la vie. Je pense qu'entre des gens qui s'aiment bien, qui collaborent, tout peut s'arranger quand on se fait confiance. Il suffit de ne pas se braquer bêtement, même s'il y a des coups de gueule, tout peut se discuter et s'arranger vu qu'on est dans la même famille.
Personnellement, je n'ai rien contre les Bérus, même si après ce qui s'est passé, même si je ne suis pas trop d'accord avec la façon dont ils ont opéré. Je ne vais pas dire que ce sont des traitres, ça serait reprendre le même schéma, et c'est bête.
C : Au niveau musical ce que je préfère chez un groupe ce sont ses premiers disques. Pour moi l'exemple typique ce sont les Dogs. J'aime beaucoup les 2-3 premiers disques, après j'aime moins. Ce que j'aime bien dans les premiers disques, c'est que les groupes n'ont pas beaucoup de moyens, ils ont la haine, ils ne peuvent pas faire quelque chose de sophistiqué, ils n'ont pas beaucoup de temps en studio ... et plus ça va et plus ils ont les moyens, plus ils arrivent à faire la musique qu'ils ont eu envie de faire. Tous les groupes de 77, ils étaient vraiment destroy, mais dès qu'ils ont eu plus de moyens, ils ont joué autrement. Au début c'étaient des punk-rockers et ils sont devenus des musiciens.
C : Oui, c'est ça que j'aime : le côté primaire. Quand je rentre chez moi, je n'écoute pas du jazz ou de la musique classique. J'adore écouter le mec avec sa guitare et son ampli et qui fait du bruit. Tant qu'il y aura des gens qui auront envie de prendre une guitare et de faire du bruit parce qu'ils se font chier ... ça ira. T'as pas besoin de faire 15 disques ou le conservatoire pour faire du rock Il suffit d'avoir la volonté.
C : Juste 2 dates. On est sur un label anglais, Vinyl Solution et par leur intermédiaire on a eu plein de plans pour jouer en Europe. En jouant à Berlin au festival des indépendants, il y avait les gens du label américain Sub Pop qui nous ont remarqué et ça leur a plu. Ils ont voulu sortir un disque des Thugs aux USA. Avant qu'on tourne là-bas, ils ont sorti un 45t avec un morceau d'Electric Trouble et un inédit. Juste pour la tournée, ils ont sorti une compilation d'"Electric Trouble" et de "Dirty White Race", avec 11 morceaux, comme c'est sorti en Espagne et en Allemagne. Ils ont également sorti notre dernier LP, "Still Hungry". On est parti tourner 2 mois, on a fait 29 concerts dont 4 au Canada. On a joué 2 fois avec PIL, 3 avec SNFU, autrement on tournait avec un groupe de Seattle qui s'appelle Blood Circus, qui est aussi sur Sub Pop. On a rencontré les gens de Maximum Rock'n'Roll à San Francisco, où on a fait un super concert. Surtout que les gens de MRR nous connaissent depuis longtemps : depuis le premier 45t. Ce qui m'a frappé c'est qu'en Angleterre ceux qui organisent des concerts sont assez business alors qu'aux Etats Unis ça ressemble plus à la France pour ce qui est des organisateurs.
C : "Still Hungry". C'est la première fois qu'on fait un vrai album, avec 12 morceaux. On l'a enregistré au Pays de Galles avec Ian Burgess, un américain. En Angleterre, le disque est sorti chez Vinyl Solution, en France c'est chez Bondage ; en Allemagne c'est Glitterhouse et aux USA sur Sub Pop. C'est bien d'avoir un label qui sorte le disque plutôt qu'une distribution en import. La chance qu'on a c'est que Vinyl Solution a des groupes porteurs, avant c'était les Stupids, maintenant c'est Mega City Four. Sub Pop avec des groupes comme Nirvana est un des labels indépendants qui a le plus la côte. On bénéficie pas mal de tout ça.
C : J'avais produit les K7-démo des Thompson Rollets, là leur 45T a été produit par Bret Meyer, le guitariste de Died Pretty. Peut-être que je travaillerais à nouveau avec eux. Il y a eu le mini-LP de Parkinson Square, de Lyon. Le problème c'est que Gougnaf ayant des problèmes, le disque n'est pas très bien distribué, parce que c'est vraiment un super disque. Sinon il y a eu les Real Cool Killers de Clermont-Ferrand qui sortent un mini-LP chez Spliff. C'est plus classique par rapport au Hard Core de Parkinson Square. Sinon il y a aussi les Shaking Dolls, un nouveau groupe d'Angers qui joue super bien.
C : Pour les concerts à l'étranger on vient de repasser en Hollande, sinon on est allé en Italie, Espagne, en Grèce, en Belgique, en Suisse. C'est bien la Suisse ... A Zurick, il y a la Rote Fabrik, c'est un immense squatt avec 2 salles de concerts, une qui doit faire 500 places et l'autre 1000. Il y a pas mal d'endroits comme ça en Suisse. En 78, il y a eu un mouvement dur autour de la Rote Fabrik : les gens ont pris possession de ce lieu, ils s'y sont organisés et c'est devenu le genre d'endroit où les flics ne rentrent pas. Il n'y a pas longtemps, le squatt a failli être viré, mais il y a eu des manifs et le pouvoir a du reculer. Ca m'avait vachement surpris qu'il y ait ce type de lieu en Suisse parce que ça ne correspond pas à l'image qu'on a de ce pays. Tu ne t'attends pas à voir des punks et des squatts. Même à Genève, il y a un endroit qui s'appelle l'Ilot 13, ce sont 2-3 immeubles qui sont squattés. C'est très sympa. Il y a pas mal de squatts en Hollande, Allemagne, Suisse. En Italie, on ne les a pas vu parce qu'on a fait des dates dans le Sud, alors que les squatts sont plutôt à Turin. Même à Athènes, je sais qu'il y avait pas mal de squatts et de punks mais ça a l'air d'être tombé.
C : Non, on ne peut pas vivre que de ça. On touche les Assedic, j'ai aussi été TUC. Eric et moi on a nos copines qui travaillent, elles ne nous entretiennent pas directement mais ... On a tout de même réussi à ne faire que ça. Tu ne peux pas à la fois faire un groupe et avoir un boulot, ou alors un boulot cool où tu peux travailler quand tu veux. Il faut être discipliné pour tourner. On ne peut pas se permettre de refuser une tournée parce qu'il y en a un qui travaille. Je ne me plaindrains pas de pas avoir beaucoup de fric, parce que je ne tiens pas spécialement à travailler, c'est aussi pour ça que je fais du rock.
C : Oui je pense. Si tu veux "Still hangry" on l'a écrit avec un "a", et sur le recto de la pochette on l'a écrit "hungry". Ca résume assez bien pourquoi on fait du rock : on a toujours faim, dans le sens qu'on n'a pas envie de vivre comme des cons, de vivre d'une façon normale. On veut bouger, voir des gens. Et puis aussi, on est toujours en colère à cause de ce qu'on voit.
Dans la structure musicale on est contre ce qui est établi : l'ordre, la discipline ... Quand tu vois le nombre de gens que le rock touche en Europe, une jeunesse marginale, c'est dans l'essence de la musique. Ca a commencé par Elvis Presley. Ce qu'il dégageait dans les années 50, c'est la même chose que les Sex Pistols dégageaient en 77, même si ce n'était pas le même discours.
E : Ce n'est pas le label des Thugs, c'est le label que j'ai monté avec Stéphane qui tient le magasin Black & Noir avec moi et nos copines respectives. On est 4 à s'en occuper. Il est évident que si la première signature du label c'était les Cateran, c'était pas un hasard (*).